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Le carnet magique

 Il ne fallait pas beaucoup d'imagination pour presque entendre l'écho d’un claquement de sabots de cheval ou le fracas des roues d’une charrette ou d’une calèche résonner sur les pavés des rues étroites de la vieille ville.

Il n’en fallait pas beaucoup non plus pour imaginer les êtres qui les avaient parcourues, y avaient vécu, avaient franchi leurs portes, s’étaient penché à leurs fenêtres, s’y étaient parfois battu.

Leurs arcades, autrefois occupées par des artisans l’étaient à présent par des galeries d’art et des magasins d’antiquités, ici ou là par un bouquiniste ou un restaurant. Aux étages supérieurs ne restaient guère de logements, ceux-ci avaient depuis longtemps cédé la place aux bureaux des assureurs et des avocats.

Les rares passants, seuls ou en couple qui y flânaient,  s’arrêtaient parfois quelques instants devant une devanture pour admirer un tableau, une poterie chinoise ou rêver devant un meuble ancien fait de bois sombre dont la finesse avait attiré leur attention ; des objets venus d'ailleurs qui racontaient leur voyage dans l'espace et dans le temps à ces promeneurs attentifs.          

La boutique ne payait pas mine. Elle était située au fond d’une ruelle sans issue et n'était souvent découverte par hasard que par quelque esprit aventureux qui osait se risquer hors des sentiers battus.  

Un vieil homme en blouse bleue, affairé sur son établi au fond de son échoppe, levait la tête en réajustant ses lorgnons sur ses yeux rieurs à chaque fois qu'un visiteur poussait la porte. Ses cheveux blancs descendaient jusqu'à ses épaules et un sourire bienveillant marquait son visage, lui conférant un air de bonté naturelle.

Ce jour-là, un monsieur élégamment habillé entra dans la boutique, par curiosité, car l’amoncellement d’objets hétéroclites qui s'y trouvait l'y avait incité. Une fois la porte poussée, presque avec difficulté car l'encombrement arrivait jusque-là, il découvrit une multitude d'objets anciens, de meubles, de tableaux et lithographies, instruments de mesure, porcelaines, services en argent, poupées, costumes d'époques, militaires ou non, sabres, médailles, une bibliothèque complète de livres plus ou moins anciens et de tous les formats.

Il regarda ces objets en se demandant ce qui avait bien pu les amener là et ce qui avait incité le vieil homme à les acquérir. Peut-être un collectionneur compulsif, mi-brocanteur, mi-antiquaire, se dit-il, qui accumule les objets plus pour son propre plaisir que pour les revendre.

Enjambant une boîte qui contenait des dizaines de cartes géographiques, il s'approcha d'un petit secrétaire dont les tiroirs entrouverts débordaient de boutons, de rubans et de stylos à l'encre longuement séchée. 

Sur le bureau reposait un carnet brun de la dimension d'une poche de veston et qu'un ruban de la même couleur maintenait fermé. Sa couverture en cuir était bien usée et avait perdu de sa rigidité d’origine, mais le carnet restait en bon état.

Le monsieur le saisit, contempla un instant sa façon puis l'ouvrit. Les pages étaient blanches, vierges de toute écriture. Il ne portait en outre aucune marque d'imprimerie ni aucune annotation sur sa couverture qui aurait pu donner une indication de sa provenance ou de son âge. Le monsieur, intrigué, se tourna vers le vieil homme qui s'affairait sur une vieille lampe en cuivre.

- Combien pour le carnet brun ? demanda-t-il

- C'est cinq francs, dit le vieil homme

- Cela n'est vraiment pas cher

- Non, mais il me reviendra. Il me revient toujours, fit le vieil homme d'un ton énigmatique. Et comme cela, je n'aurai à vous rembourser que ces cinq francs.

- Comment ça ? demanda le monsieur encore plus intrigué.

- Je l'ai déjà vendu plusieurs fois. A chaque fois, on me l'a rapporté.

- A bon ! Mais....pourquoi ?

- Je crois qu'il a un étrange pouvoir. Du moins, c'est que m'ont laissé entendre les gens qui me l'ont rapporté.

- S'ils vous l'ont rapporté, c'est que ce pouvoir n'a pas fait leur bonheur, sinon ils l'auraient gardé.

- Probablement, mais je n'en sais pas plus. Ils reviennent, me demandent s'ils peuvent me le rendre et si je peux les rembourser car ils ne veulent plus le garder et s'en vont sans m’en dire davantage.

- Et vous ne le leur avez jamais demandé pourquoi ?

- Non !

- Et vous ? Il ne semble pas que ce carnet vous ait porté malheur, à vous ?

- Non ! Mais je n'ai pas dit qu'il portait malheur, j'ai juste dit qu'il semblait avoir un étrange pouvoir.

Le monsieur reposa le carnet sur le secrétaire, puis continua son exploration. Les objets étaient si nombreux et si disparates que certains étaient suspendus au plafond. Pour progresser, il dût en enjamber, en repousser, en déplacer, découvrant à chaque pas une curiosité du passé : ici un baromètre-thermomètre à mercure dont l'aiguille s'était arrêtée sur "Beau Temps", là une marionnette de Guignol avec presque tous ses fils, et puis une guitare où manquait une corde et des objets dont on avait perdu l'utilité depuis longtemps.

Il fit un tour complet de la boutique, puis se dirigea vers la porte. En passant près du petit secrétaire, il s'empara du carnet qu'il glissa discrètement dans la poche de sa veste.

- Au revoir, Monsieur, fit-il avant de sortir.

Le vieil homme le regarda partir avec un petit sourire aux lèvres.

"Cela ne fait rien, pensa-t-il, il reviendra. Il revient toujours."

L'homme n'était pas très fier de son acte ; en s'éloignant, il rasait les murs. Il n'était ni kleptomane, ni dans le besoin, mais aimait l'adrénaline que lui procurait un petit larcin de temps en temps. Et comme les objets qu'il dérobait n'étaient jamais de grande valeur, il se permettait de penser qu'il ne lésait pas grandement ses victimes.

Ces petits larcins lui laissaient cependant à chaque fois un sentiment de culpabilité et il avait le sentiment en remontant la rue que les passants le dévisageaient avec réprobation.

"Comment le sauraient-ils ?" Essaya-t-il de se raisonner.

Il tâta sa poche pour s'assurer que le carnet était toujours là et pressa le pas.

Arrivé à la hauteur de sa voiture, qu'il avait garée dans une ruelle avoisinante, il constata qu'un pneu était complètement plat.

- Ah non, merde ! fit-il, pas maintenant !

Une série de pensées passèrent rapidement dans sa tête : le rendez-vous important pour une éventuelle nouvelle opportunité dans sa carrière dans moins d'une demi-heure maintenant, le costume qu'il avait soigneusement choisi pour cette occasion avec la cravate en soie assortie, la belle chemise blanche avec des boutons de manchette de marque et les chaussures qu'il avait pris soin de cirer afin que jusque dans les moindres détails sa présentation soit sans faute. Et maintenant ce pneu plat qu'il ne se voyait pas changer sans risquer de maculer tout cela.

- Merde, merde et merde ! refit-il entre rage et désespoir. Je ne me suis arrêté dans cette foutue rue que parce que j'étais en avance pour mon rendez-vous.

Après avoir rapidement soupesé les options qui s’offraient à lui, il décida de laisser là son auto et de prendre un taxi qu'il appela sur le champ.

Avant de partir, il voulût récupérer la mallette qu'il avait laissée derrière le siège conducteur. Il ouvrit la portière et se pencha dans la voiture. Le carnet glissa de sa poche, tomba sur la banquette et s'ouvrit.    

La page était blanche à l'exception d'une note. Le monsieur ramassa le carnet, puis lu la note : "Ramène-moi ! "

- Bizarre, se dit-il, je suis sûr que toutes les pages étaient blanches lorsque j’ai ouvert le carnet dans la boutique.

Sans plus s’en soucier, il remit le carnet dans la poche intérieure de son veston, s'empara de la mallette, puis s'extirpa du véhicule dont il claqua la porte.

Puis il attendit.

Après dix minutes d'attente, il décida de rappeler la compagnie de taxi.

- Désolée, Monsieur, dit la réceptionniste, mais nous n'avons reçu aucun appel de votre part. Mais je vais faire le nécessaire pour vous envoyer un véhicule tout de suite.

- Merci ! Mais attendez ! Il est impossible que vous n'ayez aucun appel de ma part, je vous ai appelé il y a moins de quinze minutes. Je ne suis pas fou, je me souviens très bien de vous avoir appelés et d’avoir parlé à quelqu’un à qui j’ai dit que j’étais pressé. Votre collègue m’a promis un taxi dans les cinq minutes.

- Je suis vraiment désolée, Monsieur, mais je n’ai aucune trace d’un appel depuis votre numéro sur mon ordinateur dans la dernière heure. Mais entretemps, j’ai eu confirmation qu’une voiture est en route vers vous.

- Merci. Au revoir, Madame.   

Pour en avoir le cœur net et pouvoir le prouver si nécessaire, après avoir raccroché, il consulta la liste des appels sur son téléphone. Nulle part ne figurait le numéro de la compagnie.

- Ce n’est juste pas possible, je ne suis quand même pas fou ; je suis sûr d’avoir appelé ces gens.

Le taxi arriva moins de cinq minutes plus tard, le sortant de sa perplexité, mais, compte tenu de l'attente déjà passée et du temps de trajet, il allait être en retard à son rendez-vous.

- Merde, merde et merde !

Le stress et l'énervement l'avait maintenant mis en nage et la sueur perlait à son front.

Il monta dans le taxi.

- J’ai un rendez-vous important à la rue des Deux-Ponts dans cinq minutes. Je suis extrêmement pressé. Vous pouvez y arriver ? demanda-t-il en oubliant dans son stress et son énervement un simple « Bonjour ! » de courtoisie.

- Depuis ici, il faut au moins vingt minutes quand il n'y a pas de circulation, alors à cette heure et avec ce trafic, je doute que je puisse le faire en moins de trente minutes, mais je vais faire au mieux.

Devant cette bonne volonté, le monsieur se garda bien d'insister plus lourdement de peur de froisser le chauffeur et de n'arriver qu'à un résultat contraire. Et puis, que pouvait-il faire d’autre ? A cet instant, il n’avait pas d’alternative. Il se cala donc dans son fauteuil et essaya de ralentir les battements de son cœur et de se calmer en respirant profondément. Il était en nage et avait en effet le sentiment de ne respirer que par le haut de sa poitrine.

Il enleva sa veste et la déposa à côté de lui sur la banquette. A ce moment, le carnet glissa de sa poche et tomba entre les sièges. Le monsieur se pencha pour le remasser. Dans sa chute, le carnet s’était encore une fois ouvert. L’ayant ramassé, le monsieur s’apprêtait à le refermer lorsqu’il remarqua une note sur une autre page.

« Ramène-moi ! »

Cette fois, le monsieur fût un peu déconcerté.

- Je suis sûr que ce carnet était vierge lorsque je l’ai emporté. Maintenant, il y a deux notes sur deux pages différentes qui disent la même chose.

Il pensa au vieux monsieur de la boutique et à son étrange avertissement : « … Le carnet a un étrange pouvoir » avait-il dit.

-Je ne crois ni aux fantômes, ni aux esprits maléfiques, ni aux carnets magiques, se dit-il à mi-voix pour se rassurer.

Puis il ouvrit la mallette pour y glisser le carnet en se disant que de là au moins, il ne pourrait plus tomber.

Son téléphone était au-dessus des documents dans la mallette. Il se dit que compte tenu de l’heure, il vaudrait mieux appeler son rendez-vous afin de l’informer de son retard.

Il se saisit de l’appareil puis tenta de l’allumer en pressant le bouton. Rien ne se passa.

Il renouvela l’expérience, pensant qu’il avait incorrectement appuyé sur le bouton. Rien ne se passa non plus.

- Mais, c’est pas vrai ! Explosa-t-il, ce qui fit sursauter le chauffeur.

- Un problème ?

Comme il l’observait dans son rétroviseur, le monsieur se fendit d’une explication :

- Mon téléphone s’est arrêté. Mais je l’ai utilisé il y a moins de dix minutes pour vous appeler. Maintenant je dois appeler mon rendez-vous pour l’informer de mon retard mais mon téléphone ne fonctionne plus.

- Utilisez le mien, répondit le chauffeur bon prince en tendant son appareil par-dessus son épaule.

Le monsieur ne se fit pas prier. Il se détacha et se pencha en avant pour l’attraper.

Un vélo coupa la route du taxi.

Le chauffeur écrasa brutalement la pédale de frein avec un « Bon Dieu ! » sonore. Le téléphone s’envola des mains du monsieur pour atterrir au fond de la voiture sous le tableau de bord, mais du côté passager.

Impossible pour le chauffeur comme pour le monsieur de le récupérer sans s’arrêter.

De plus, comme le monsieur, pour attraper le téléphone s’était détaché, le coup de frein le prit par surprise et l’envoya nez en premier contre l’appuie-tête du siège conducteur. Son nez se mit à saigner. Il ne le réalisa que lorsque quelques gouttes de sang tombèrent sur sa chemise.

Se pinçant le nez d’une main et la tête en arrière pour arrêter l’hémorragie, il se tourna vers sa serviette pour chercher un mouchoir et l’ouvrit maladroitement de l’autre. Le carnet était ouvert. Plusieurs pages étaient couvertes de « ramène moi ! ».

Il regarda le carnet avec incrédulité.

- Ce carnet est diabolique, se dit-il. Il se remplit tout seul et depuis que je l’ai emporté, il ne m’arrive que des ennuis.

De rage, il empoigna le carnet puis ouvrit la fenêtre de la voiture pour le jeter dehors. Au dernier moment, il y renonça, craignant que cette solution définitive ne suffise pas à arrêter le mauvais sort.

- Vous n’êtes plus qu’à quatre ou cinq minutes à pied, dit le chauffeur. Je crains qu’avec cette circulation, il ne nous faille plus de temps en voiture. Je vous propose de vous laisser ici et de continuer à pied.

Après quelques secondes d’hésitation pour évaluer la situation, le monsieur admit que le chauffeur avait raison. Il régla la course, puis sortit du véhicule en emportant sa serviette.

Il se mit à courir pour ne pas aggraver son retard, tout en gardant la tête relevée et en arrière pour que le sang ne coule plus sur ses habits.

En pleine course et la tête en arrière, il buta sur une irrégularité du trottoir qu’il n’avait pas vue et s’étala de tout son long.

Etourdi par la chute, il mit quelques secondes à s’assurer qu’il ne s’était rien cassé et une poignée supplémentaire à se relever. Puis il constata les dégâts. Cette fois, il eut vraiment envie de pleurer. Non seulement il était hirsute et débraillé à cause de sa course, mais la sueur perlait à son front et à ses aisselles et son sang tachait sa chemise. De plus, maintenant, son beau costume avait un accroc au genou droit et ses mains étaient écorchées. La mallette, elle, gisait ouverte quelques mètres plus loin ; le carnet ouvert à son côté.

Il n’eut même pas envie de le regarder ; il savait déjà ce qui s’était écrit sur les pages : « Ramène-moi ! »

Lorsqu’enfin il pénétra dans le bâtiment de la société où il était attendu, il se dirigea directement vers la réceptionniste. Celle-ci le contempla attentivement de haut en bas.

- Vous avez l’air de sortir tout droit d’un crash d’avion, lui fit-elle

Cela ne l’amusa nullement.

- Mon nom est Didier Mahut, j’ai rendez-vous, ou plutôt, j’avais rendez-vous il y a une demi-heure avec Mme Jeannot au Ressources Humaines, mais j’ai eu un accident et mon téléphone ne fonctionne plus, dit-il sans plus de détails.

La réceptionniste balançait entre appeler la sécurité et appeler les Ressources Humaines.

- Vous venez pour le poste de « Vice-Président Marketing Europe » c’est cela ? Demanda-t-elle après quelques instants.

- Oui, c’est cela.

La réceptionniste décrocha son téléphone, tapa sur trois touches et attendit en évitant de regarder le monsieur de peur d’éclater de rire.

- M. Mahut est à la réception

Ayant raccroché, elle leva les yeux vers lui

- On vient vous chercher

- Y a-t-il des toilettes à cet étage ? J’ai besoin de me rafraichir un peu.

- Deuxième porte à votre gauche, répondit-elle en désignant la direction de la main.

- Merci !

 « Les chasseurs de tête recrutent sous les ponts maintenant », se dit-elle en se retenant de rire.

Le monsieur essaya tant bien que mal de remettre de l’ordre dans sa tenue : il réajusta sa chemise dans son pantalon, resserra sa cravate. Mais pour l’accroc au genou et le sang sur la chemise, rien à faire.

Il ressortit.

Une petite dame blonde attendait à la réception

- Bonjour, je suis Josiane, l’assistante de Mme Jeannot. Malheureusement, elle a dû partir. Comme elle vous attendait il y a plus de trente minutes, sans nouvelles de votre part et ne pouvant vous atteindre, elle a accepté un autre rendez-vous à l’extérieur.

- Bonjour, je suis vraiment désolé du retard et de ma tenue, mais j’ai eu un accident et je n’ai pas pu vous appeler car mon téléphone ne fonctionne plus, tenta-t-il d’expliquer sans avoir vraiment écouté ce que la dame disait

Puis, le réalisant soudain, il s’effondra comme si l’on venait de lui poser un sac de cent kilos sur les épaules.

- Elle ne va pas revenir ? Demanda-t-il avec un accent de désespoir dans la voix. J’ai eu une après-midi catastrophique. Ma voiture a eu un pneu crevé, le taxi que j’ai appelé a mis plus de trente minutes à arriver, mon téléphone est mort dès cet appel passé, puis comme le chauffeur du taxi a dû bloquer pour éviter un accident avec un cycliste, je me suis écrasé le nez contre son appuie-tête et comme cela ne suffisait pas, je suis tombé sur le trottoir en en courant pour ce rendez-vous. Alors, s’il vous plaît, appelez Mme Jeannot pour lui demander si elle pouvait avoir la gentillesse de me recevoir plus tard.

- Cela va être difficile, Monsieur, Mme Jeannot doit ensuite prendre un avion pour un déplacement jusqu’à mardi prochain.

Comprenant que son rendez-vous était raté et qu’il n’y avait rien de plus à faire, le monsieur se dirigea lentement vers la sortie la tête dans les épaules.

- Je la rappellerai dès mercredi, dit-il sans se retourner. Au revoir.

- Au revoir, répondirent dans un ensemble parfait l’assistante et la réceptionniste et se retenant de rire.

Le monsieur remontait la rue, abattu et résigné, longeant les murs pour ne pas se faire remarquer dans sa tenue lorsque passant devant un bistrot, il décida de s’y arrêter pour prendre un café et remettre un peu d’ordre dans ses pensées.

Un garçon s’approcha de sa table pour prendre sa commande.

- Bonjour Monsieur, que vous ferait-il plaisir de prendre ? Vous me semblez avoir eu une journée difficile aujourd’hui.

- Bonjour. Si je vous la racontais, vous croiriez que je l’invente. Depuis que je traine ce foutu carnet …. Apportez moi un café s’il vous plaît.

L’évocation du carnet sembla le ramener à la réalité. Il ouvrit sa mallette et en sortit le carnet qu’il posa soigneusement sur la table.

Une étrange appréhension le saisit. Les mots du vieil homme résonnèrent dans sa tête : « Il revient toujours » a-t-il dit.

Ouvrant le carnet avec précaution, comme si quelque chose pouvait lui sauter au visage, il en tourna les pages une à une. « Ramène-moi !» était maintenant inscrit sur chacune d’entre elles.

De surprise et de panique, il faillit le jeter loin de lui. Puis il décida de la seule chose qu’il lui restait à faire.  

Le monsieur entra dans la boutique. Le vieil homme qui était toujours à son établi, leva la tête.

- Ah ! Bonsoir Monsieur ! Vous êtes déjà de retour ? fit-il.

Puis remarquant la tenue du monsieur, il ajouta :

- Oh ! Mais que vous est-il arrivé ? Votre beau costume est sale et déchiré. Vous avez eu un problème ?

- Je… oui ! C’est une longue histoire. Je vous rapporte le petit carnet que j’ai retrouvé dans ma poche tantôt. Je ne sais pas comment il est arrivé là. J’ai dû le prendre et l’y mettre et puis l’oublier lorsque je suis sorti de votre magasin, tenta-t-il sans grande conviction.

En ce moment, ce que pouvait penser le vieil homme lui était sans importance, il ne désirait que se débarrasser du maudit objet. Il le reposa sur le secrétaire à l’endroit précis d’où il l’avait pris.

Par curiosité, il l’ouvrit ; les pages étaient blanches. Pour la première fois dans sa vie, l’irrationnel lui fit peur. Il frissonna

- Euh, les gens qui vous ont ramené le carnet avant moi…Vous avez eu de leurs nouvelles ? Vous savez si l’étrange pouvoir dont vous m’avez parlé a cessé de les importuner ? Demanda-t-il un peu inquiet.

- Non, répondit le vieil homme sans lever la tête de de son établi, sincèrement, je n’en ai jamais plus entendu parler.

Le monsieur se dirigea vers la porte.

- Non ! Non, non, comme je vous l’ai dit, j’ai dû le glisser dans ma poche puis l’oublier en partant, je suis désolé.

- Cela n’a pas d’importance, de toute façon, il revient toujours…

Le monsieur sortit.

Charles-Henry Moser

2018

© 2019 by Charles-Henry Moser

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